"Voir les dépôts alluvionnaires relatifs à Esther croiser tous avec Perec me rappelle qu'il est né le soir du 7 mars 1936, qui était aussi le 14 adar 5696, le premier jour de Pourim, fête instaurée par le livre d'Esther.Ceci confirme le caractère singulier voire extraordinaire de la triple coïncidence Esther-Perec-Shoah (pour approfondir le sujet, on lira avec profit les articles de Rémi mis en lien). Je voudrais quant à moi revenir sur la décapitation du Capet dei capi, Louis XVI bien sûr, car le livre de Haenel-Meyronnis-Retz (j'écrirai plus rapidement HMR à partir de maintenant) développe particulièrement cet évènement (elle n'est jamais citée mais on voit bien qu'il s'inspire de l'étude désormais classique d'Ernst Kantorowicz sur les Deux Corps du Roi).
Je remarque aussi le lien établi entre 1789, qui a mené le personnage le plus puissant du royaume, le Capet dei capi, à être décapité, et le livre d'Esther, où le vizir Aman ayant prévu de tuer Mardochée et les autres Juifs se retrouve du jour au lendemain pendu sur le gibet préparé pour Mardochée. Ceci me rappelle que ce lien a aussi été fait par Cyril Epstein, en rapport avec la Shoah, dans un carré textuel qui fait partie de la galaxie de coïncidences révélée par les grilles de lettres."
La décapitation de Louis XVI, gravure anonyme, Musée Carnavalet. |
"En coupant la tête du roi, le 21 janvier 1793, la République ne s'en prend pas seulement à la monarchie française. La mise à mort de celui que l'on appelait le Roi Très Chrétien, et qui avait reçu les onctions du sacre à la cathédrale de Reims, est en réalité une mise à mort de Dieu. En effet, le roi de France étant configuré au Messie d'Israël, sa personne avait une dimension sacrée. (...)
Selon l'ancienne conception, il n'y avait qu'un seul Roi - le Christ. Et si un roi de France a porté cela jusqu'au bout, ce fut Louis XVI, en acceptant de mourir en victime émissaire Comme l'anthropologie nous l'enseigne, tous les trônes sont fondés sur la pierre sacrificielle, et la grandeur du dernier roi fut d'imiter en conscience celui qui a porté la couronne d'épines.
A bien y réfléchir, la République commence avec la décapitation du roi, qui est aussi une décapitation de Dieu. Quand Freud, un siècle plus tard, écrit dans Totem et Tabou que "toute société est fondée sur un meurtre commis en commun", il ne fait au fond que décrire ce qui s'est passé à Paris : le meurtre du Père par les Fils. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la place de la Révolution, où le roi fut guillotiné, a été rebaptisé au XIXe siècle place de la Concorde.
Dans un discours prononcé à la Convention le 13 novembre 1792, Saint-Just admet à sa manière que la République ne peut vivre que de la mort du Roi. "Pour moi -dit-il -, je ne vois pas de milieu : cet homme doit régner ou mourir." A ses yeux, on ne peut juger Louis, puisque ce serait appliquer la loi, donc un rapport de justice, et qu'il n'y en a aucun entre l'humanité et les rois. Ainsi Louis est-il un "étranger parmi nous" - un "barbare" qu'il ne faut pas juger comme "citoyen", mais comme "rebelle" ; car il n'est "plus rien dans le contrat qui unit les Français" - sinon un "coupable de la dernière classe de l'humanité." (pp. 144-146)
Je cite longuement mais n'approuve pas forcément : la vision de la Révolution développée par HMR semble entièrement négative, de même que leur conception des Lumières, dont la Révolution apparaît comme le couronnement, et dont ils prêtent à Sade l'opération subversive de "dévoiler le revers d'ombre", "la part démoniaque". Je ne partage guère cette optique univoque et sans nuance, et continue de penser que le meurtre n'était pas au fondement obligé de la République. C'est oublier un peu vite, par exemple, l'alternative girondine, celle qu'on a noyée dans le sang en octobre de cette même année 1793. En mourant, le député bordelais Vergniaud "laisse, gravée dans la muraille de son cachot, cette devise empruntée à la duchesse Anne de Bretagne, qui résume toute la Gironde : "Potius mori quam foedari." La mort, plutôt que le crime." (Anne de Manthan, Girondins jusqu'au tombeau, Éditions Sud-Ouest, 2004, p. 289)
Je poursuivrai de façon plus légère en relatant deux coïncidences observées pendant la journée d'hier avec les thèmes évoqués ici.
Bravant la canicule, j'ai retrouvé dans la fraîcheur de la médiathèque Equinoxe le camarade Christian qui voulait me présenter ses projets littéraires en cours, ébauche de scénario, roman, or celui-ci, sur lequel il travaille déjà depuis plus d'une année, relate une histoire d'amour entre une libraire, Louise, et un pilote d'avion américain, Louis. Louis et Louise. J'avoue ne pas avoir fait la relation sur le moment avec mon malheureux Capet (dans le roman, Louis disparaît corps et bien après une rencontre intense et éphémère, et il restera à Louise la blessure d'une enquête impossible).
Plus tard, je retrouve mon autre camarade Jean-Claude Moreau, alias le Doc des expéditions Baxter, et auteur ici même de quelques articles. Dans une brasserie de la place Monestier, la conversation roule un moment sur l'association qu'il a dirigée pendant trente ans avant de passer récemment la main : l'Association pour le développement agricole et rural, en un mot l'ADAR. Aucun lien explicite bien sûr avec l'adar hébraïque, je fais la connexion en moi-même en me gardant bien de lui en faire état, à peu près assuré qu'il n'y verrait pas autre chose qu'une énième élucubration sympathique de ma part...
Pour lui le hasard reste sans doute le hasard, une tautologie qu'il est vain d'interroger, un aléa constitutif de notre être-au-monde. Alors que je tends à rejoindre la conception de Josy Eisenberg : le hasard est un travestissement de la Présence. Pourim tient son nom du persan pour, qui désigne le tirage au sort par le cruel Haman du jour favorable à l'extermination des Juifs. "De même, dit Eisenberg, au Temple de Jérusalem, on tire au sort pour savoir quel bouc deviendra le bouc émissaire, chargé de faire disparaître les péchés d'Israël. Dans les deux cas, le "hasard" conduit à cette transformation du Mal que vous évoquiez." Cet autre tirage au sort a lieu lors de Yom Kippour, le jour le plus solennel de l'année. Rien de plus antithétique au départ que ces deux fêtes de Pourim et de Yom Kippour. Alors que Pourim est une fête carnavalesque, où il est de tradition de se déguiser, de jouer, de boire, même avec excès (le Talmud allant jusqu’à déclarer que « l’on est obligé de boire à Pourim jusqu’à ne plus connaître la différence entre “maudit soit Haman” et “béni soit Mordekhaï” »), Kippour est un jour austère où la Torah prescrit de "s'affliger", de se priver de boire et de manger.
En réalité, les deux fêtes se complètent. "Il y a le temps de Dieu, précise Adin Steinsaltz : au Sinaï, les choses se font de Haut en Bas, partent de Dieu et vont vers l'homme. A Pourim, dans l'exil, les choses s'inversent : elles partent de la libre détermination des hommes et s'élèvent vers Dieu. En instituant Pourim, les Juifs de Perse ont renforcé l'acceptation de la Loi."
Allez, une dernière coïncidence que je viens de relever à l'instant en cherchant de la documentation sur l'Adar de mon ami Doc Moreau. Celui-ci est l'un des trois auteurs de l'article "L'Adar et le développement de la filière bois-énergie dans le pays de La Châtre en Berry" publié en 2013 dans le numéro 218 de la revue Pour.
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